Un article écrit en mars, juste avant d'aller dans mes deux derniers wwoofings (chez mon couple d'anglais puis à l'ashram), et remis au goût du jour...
A l'auberge de jeunesse où je me trouvais il y a quelques jours, à Grenade, parmi les volontaires présents je remarque une jeune femme à l'aspect plutôt fermé et qui s'affaire à nettoyer impeccablement la cuisine. Intrigué, je l'aborde et tente d'amorcer la conversation en anglais. J'apprends alors que la jeune femme est turque et qu'elle est volontaire à l'auberge (hébergement gratuit contre quelques heures de travail par jour, un bon plan surtout pour l'auberge qui économise sur du travail salarié mais passons...).
Je comprends qu'elle a pas mal voyagé aussi mais à part cela, les présentations une fois faites, la conversation retombe assez vite et je n'insiste pas.
Pourtant deux jours après, c'est elle qui m'aborde, et dans un français impécable cette fois ! Nous commençons donc à converser en français, français qu'elle a étudié à l'université. Nous revenons sur son "volontariat" à l'auberge et j'apprends qu'elle est hébergée avec les autres dans un dortoir assez sale, mais au détour d'une phrase elle me dit qu'après ce qu'elle a connu au Kénia elle peut s'accomoder de tout désormais.
"Qu'est-ce que vous voulez dire ? Qu'avez-vous fait au Kénia ?"
"J'ai été volontaire là-bas, pendant trois semaines, et cela a été l'expérience à la fois la plus éprouvante et la plus riche de ma vie.", me répond-t'elle.
"Pourquoi ?"
"Les gens là-bas n'ont rien, ils n'ont absolument rien je veux dire... Je vivais avec une mère de famille qui avait le sida, et ses enfants. Le travail était plutôt facile : je devais rechercher des clients pour les vêtements en tissu que les femmes du village confectionnaient.
Mais les conditions de vie étaient terribles : le logement était fait avec de la taule et du tissu, les enfants jouaient dans l'eau qui servait pour les toilettes... La nuit au début je n'arrivais pas à dormir car il y avait des rats -des gros rats- dans l'habitation. Je ne pouvais pas supporter cela alors j'ai utilisé du poison pour les empoisonner. Mais les rats une fois morts, il a commencé à y avoir une odeur de pourri à l'intérieur. Le père de famille était parti car sa femme avait le sida, et quand les femmes ont le sida là-bas, les hommes les abandonnent avec leurs enfants. Il y a beaucoup de prostitution car les gens n'ont pas d'argent, c'est pour cela qu'il y a beaucoup de sida aussi.
Les repas étaient constitués d'une poudre de racine mélangée avec de l'eau, sans sel, et tellement amère ! Et c'était comme cela tous les jours et à tous les repas.
Quand je suis arrivée le premier jour, je voulais partir mais mon retour en avion était déjà réservé et je ne pouvais pas changer. Donc je suis restée les trois semaines.
Et pourtant après cette expérience je peux dire que désormais je peux vivre et accepter n'importe quoi. Cela m'a appris à relativiser et à accepter les choses ; avant j'étais bien trop exigeante, je ne me satisfaisais de rien. J'avais vraiment besoin de ça finalement pour guérir de mon insatisfaction. Finalement cela a été une super leçon pour moi et à la fin du séjour je voulais même rester trois semaines de plus..."
Cela fait réfléchir non ? Moi personnellement je ne le ferais pas. Je serais tenté pour vivre des expériences inédites voire un peu difficiles, mais pas à ce point-là. Ce qui m'a marqué, c'est quand elle m'a dit qu'elle avait eu besoin de vivre cela pour guérir d'un aspect de sa personnalité qui lui empoisonnait la vie... Et c'est aussi un peu comme si la vie l'avait guidée exactement là où il fallait qu'elle aille, pour faire l'expérience qu'elle avait besoin de vivre.
Comme quoi on dit généralement que tout est en soi, et c'est vrai, que tout est à l'intérieur. Mais quand on n'arrive pas à changer son intérieur, il reste toujours la possibilité de changer de cadre extérieur, ce qui nous amènera peut-être, par adaptation, à modifier notre monde intérieur.
Certains voyages "initiatiques" peuvent offrir ce genre d'opportunité...